mercredi 3 octobre 2012

L'adoption, la roue de la fortune : même combat ?




Ce qu'il y a de bien dans la Consultation Adoption Outremer, c'est que je n'ai jamais fini d'apprendre des choses, et ces dernières semaines, deux exemples m'ont mis face à une pensée, un ressenti, une inquiètude que peuvent avoir certains enfants adoptés. Chose que mes petits patients et mes grands amis adoptés ne m'avaient jamais évoquée.


La première histoire est celle d'une grande fille, une ado un peu (beaucoup) rebelle, je la vois seule, le courant passe bien, elle se confie pas mal... je la titille sur les plus ou moins "grands" sujets que je vérifie toujours :
- La quête des origines : pas son problème
- Son pays d'origine : pareil
- Le racisme : elle n'en souffre pas
- Le regard sur l'adoption, la façon dont elle en parle avec ses copines : sereinement
- Ses relations, son attachement à sa maman : "je l'aime bien, c'est ma mère, mais une minute après, c'était à une autre qu'on me proposait"


Le deuxième exemple m'a été exprimé par plusieurs enfants entre 12 et 16 ans, l'âge où on découvre pleins de choses, où on entend (parfois même, on écoute) les infos. Et le débat sur l'adoption par les homosexuels, ils l'écoutent aussi. Contrairement à ce que croient toutes les Madames Michu qui vous apostrophent dans la rue, pour savoir "c'est quel race ?" "combien il vous a coûté ? " "et sa VRAIE mère l'était pas trop triste", la plupart des enfant adopté ne sont pas sourds !
Donc des enfants (des pré-ados plutôt) m'ont récemment demandé si "c'est vrai qu'un enfant il pourra être adopté par un couple avec deux monsieurs ou deux madames ?". Et quand je leur ai répondu par l'affirmative, plusieurs m'ont répondu : "oh, ben j'ai eu de la chance, moi alors !"

Cela fait réfléchir !
On aura l'occasion de débattre sur l'adoption homosexuelle quand le journal qui a promis de faire paraître notre lettre ouverte va enfin la sortir...

On se limite pour l'instant au ressenti des enfants par rapport à ce côté loterie qu'a pu être leur adoption.

Aucun enfant ne me l'avait clairement exprimé auparavant, même si pour certains ados, leurs parents étaient des "vieux cons", "qu'ils sont chiants" et autres gentillesses, voir même qu'on aimerait bien s'en débarrasser, ils ne m'ont jamais exprimé ce côté loterie qui pouvait nous faire tomber selon la chance du moment sur Madona ou la belle-soeur-de-la-concierge-à-Madame-Michu (je dis bien à-Madame-Michu et non pas de-Madame-Michu)... quoique dans ces deux cas, c'est peut être pas ce dont on rêve le plus !

Jusqu'à ces quelques cas, les enfants me parlant de leur famille adoptive ne trouvait pas de caractère hasardeux dans celle-ci. Même, quand je diagnostiquais ce que j'appelle une erreur de cigogne, les enfants se voyaient dans leur famille comme un signe du destin.... ce n'est malheureusement pas toujours le cas de certains parents, j'ai entendu des "si c'était pour c'lui-là, on n'aurait pas dû adopter !" exprimé clairement ou de manière sub-liminale.

Dans le premier exemple, si cela m'a un peu stupéfait, j'ai vu une réflexion de la part d'une "gamine" particulièrement intelligente, ... et une certaine vérité, car elle a été adoptée dans un pays et à une époque, où les adoptions étaient particulièrement fréquentes... elle avait trouvé ça peut-être pour ennuyer sa mère, à qui elle était très attachée malgré tout.. et je n'ai pas trop d'inquiétudes qu'après les soubresauts de l'adolescence, ces deux-là se retrouvent vite et bien.

Le deuxième exemple m'a encore plus surpris, car ce sont plusieurs enfants qui me l'ont exprimé. Et, ce débat actuel, dans lequel les enfants n'ont pas la parole.... où d'un côté comme de l'autre des gens se déchirent sans trop penser à eux.... certains enfants le ressentent comme étant un peu des cobayes.... comme s'ils n'étaient pas de vrais enfants....

Pourtant on nous martèle sans arrêt des grandes théories à propos de l'intérêt supérieur de l'enfant, et comme quoi, l'adoption serait faite pour donner une famille à un enfant et non le contraire .... ah bon ?

8 commentaires:

Greg a dit…

Jung exprime un peu çà (la question du hasard) dans couleur de peau miel

Agnès a dit…

Mais les bios c'est la roue de la fortune aussi ! Je suis une super chanceuse : j'ai gagné deux fois au bioloto (le mois d'avant ou le mois d'après c'est sûr ce n'était pas eux et je ne les aurais pas eus...ouf). Ensuite j'ai gagné aussi à l'adoptoloto : j'ai encore eu le plus beau du monde ex-aequo avec les deux autres. Bon la question est de savoir si mes trois enfants vont penser avoir gagné au parentsloto ou pas... Nous nous employons à faire en sorte qu'ils le pensent mais cet objectif est extrêmement difficile à atteindre lorsqu'il s'agit d'aller au dodo, de couper les dessins animés, de refuser de les gaver de cochonneries sucrées et colorées...
Moi je dirais que la vraie roue de la fortune c'est la vie elle-même.

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec Agnès et je me suis fait la même réflexion à la lecture de votre billet : mais les bios aussi c'est la loterie.
Et j'aimerai beaucoup savoir comment les chinois (pour notre cas) faisaient le choix pour les apparentements sur un groupe de 15 enfants (ou plus même) avec autant de familles enregistrées à la même date pour la même OAA : une loterie ou une roue de la fortune, ou bien des critères objectifs d'affectation enfant/parents mais dans ce cas lesquels appliquaient-ils ?? Et pourquoi à tel enfant ils ont donné des parents français, américains ou espagnols ??
Si vous avez des éléments de réponse, je suis preneuse !
Une maman adoptante qui a déjà gagné une fois à la loterie de l'adoption et qui compte bien re-tenter sa chance pour avoir de nouveau le gros lot

Béatrice a dit…

Au risque de paraître fataliste et de froisser certains esprits (j'espère de tout coeur que ce ne sera pas le cas!), il me semble qu'une bonne partie de notre vie c'est la loterie, non? On peut être de "bonne famille" (je ne parle pas de condition sociale mais de famille aimante, avec des valeurs etc), savoir ce qu'on veut etc et faire de mauvaises rencontres, avoir un accident qui nous paralyse, tomber malade et j'en passe... Et comme les disent très justement d'autres parents ici: les enfants naturels réservent parfois de drôles de surprises à leurs parents et vice versa, très très très malheureusement, on est bien d'accord!

Je pense qu'il faut effectivement faire tout pour éviter les dérapages mais bon, si on pouvait savoir ce que l'avenir nous réserve, ça se saurait! :-)

Ca me rappelle que, mon amie d'enfance étant adoptée, pendant mon adolescence et les conflits avec mes parents, je priais pour découvrir que je l'étais aussi et ne pas devoir être la fille de mes pauvres adorables parents! Gnark gnark! :-D Comme quoi... ;-)

Bonne journée!

Béatrice

Natalia a dit…

Merci de ce que vous dites. Enfin, on parle des enfants adoptés, au coeur du dispositif légal prévu! Née sous X, adoptée à 6 mois, j'ai écrit à mon député afin de lui demander de ne pas voter cette loi: http://www.nystagmus.me/article-lettre-a-mon-depute-110697408.html

Mamaucy a dit…

Je rejoins les différents commentaires sur la loterie de la parentalité. Un peu plus et le spermatozoide à fabriquer les yeux bleus arrivait avant celui à fabriquer les yeux betement marrons, et on naissait poupée Barbie au lieu de banale brunette...
Et en tant que mère adoptive, comme beaucoup de parents je pense, je me suis dit que j'aurais pu, en arrivant un mois avant ou un mois après, etre la mère d'une autre.
Donc, c'est certain que ce type de réflexion doit murir dans la tete d'un ado ou meme d'un enfant qui cogite... Avec quelle conséquence ? Le hasard c'est la vie, et on construit dessus...
La deuxième réflexion m'inspire tout simplement de la tristesse car il est bien connu que le conformisme des ados et leur rejet de l'homosexualité sont très élevés, il n'y a qu'à entendre les insultes les plus frquemment répandues au collège ou au lycée, et le malaise des ados qui sentent des pulsions homo. Donc je ne vois rien que de très normal à ce que les ados adoptés rejettent totalement l'idée de l'adoption par des couples homos. Je vais néanmois lire avec intéret votre tribune avec les associations d'enfants, ou plutot d'adultes, adoptés, mais franchement je n'irais pas me baser sur l'opinion des ados qui sont de toutes façons des machines à rejetter tout ce qui est différent/moche/pauvre/bcbg/naze/qui-pue etc.

kathy a dit…

Bonsoir,
Je m’arrêterais sur le la "nouveauté", vous nous dites que ce ressenti des enfants adoptés sur l'aspect "roue de la fortune" est nouveau, ou tout au moins l’expression de ce ressenti, et vous le liez à l'actualité. Ma fille a 5 ans et je m'applique à ne pas la coller devant les informations, je pense qu'elle a bien le temps de découvrir les catastrophes de notre monde. il y a quelques semaines, elle m'a demandé comment je l'avais choisi, elle, à la pouponnière. Pourquoi j'étais devenu sa maman moi et pas une autre. Je lui ai expliqué que c'était la directrice de la pouponnière qui avait choisi la maman qui lui correspondait le mieux. Je pense qu'il ne faut pas occulter que la parole s'est déliée, que les enfants osent d'avantage poser des questions, se sentent autorisés à exprimer leurs questionnements. Tout cela grâce à des personnes, dont vous êtes, qui font un boulot formidable d'information et de formation sur la parentalité adoptive.
Il ne faut pas, et je le pense vraiment, regarder et écouter les enfants qu'à travers le prisme du risque de l'homoparentalité adoptive. Bien sûr c'est un risque supplémentaire, mais les mentalités doivent évoluer, s'ouvrir à la différences, celle de nos enfants, du handicap, des parents solo, et pourquoi pas des parents homo ! Il ne faut cependant pas que les enfants soient instrumentalisés et là je vous rejoints. j'espère juste que le débat actuel quelque soient son issue permettra aux gens de sortir un tout petit peu de la représentation judéo-chrétienne qui nous étouffe selon laquelle : la meilleure famille pour un enfant c'est : un papa et une maman.
Kathy, maman solo (et hétéro)d'une petite fille de 5 ans du Sénégal

Eric a dit…

Bonjour Mesdames les heureuses gagnantes du bioloto,

Je vais essayer de vous expliquer la différence entre votre loterie et celle des adoptés.
N'étant pas spécialiste médical, psychiatre ou psychologie, je n'userais pas de termes techniques pouvant être soumis à interprétation.


Selon moi,la différence entre la loterie que vous mentionnez et celle dont Jean Vital, Jung et moi même parlons est simplement l'existence.

Votre loterie se fait avant la naissance de votre gros lot.
La notre se fait après.

Votre 1er prix ou mon fardeau est imposé aux enfants sans qu'ils aient leur mot à dire.
Normal dans votre cas, puisque le tirage au sort se fait avant sa genèse.
Dans le cas des adoptés, il est envisageable que ceux-ci aient déjà eu un début d'histoire.
Nous parlons alors d'une personne, qui peut avoir entre quelques secondes et plusieurs années, et non d'une personne future.

Cette différence est pour moi fondamentale.
Votre lot aurait pu être différent, oui mais alors il n'aurait pas été. Un autre lot, tout aussi beau, aurai été à sa place.
La récompense est crée après la validation de votre ticket: un carnet vierge, dont l'introduction débutera in utéro, après le brassage des boules.

Hors pour nous adoptés, la récompense pour vous, adoptants, est créée avant la mise à disposition des tickets de tombola. Et, de fait, a déjà un vécu, une histoire, et n'est pas une feuille blanche.

Enfin, simplement, pour illustrer mes propos, sans jalousie et avec toute ma considération, je reprendrais l'exemple de notre ministre Madame Fleur Pellerin.
Elle aurait tout aussi bien pu être adoptée dans ma famille, ou dans celle de Jung.
Etant un homme je ne serais probablement pas à sa place si j'avais été adopté par sa famille, mais je connais de nombreuses autres femmes adoptée d'origine coréenne de son âge.
Certaines ont été affectées dans de bonne familles, ont reçu tout l'amour qu'il est possible de recevoir, une bonne éducation et beaucoup d'aide pour se reconstruire.
D'autres, peut être moins chanceuse, n'ont pas eu tout cela.
Parmi elles, d'autres consoeurs ont participé à la même tombola que Madame Pellerin, et pourraient donc, potentiellement, être ministre déléguée actuellement.

Evidemment, la loterie continue de la vie s'applique ensuite de manière identiquement aléatoire au plus bel enfant du monde, le votre, qu'il soit adopté ou non.

Quant à l'affectation des enfants par pays ou par famille, je pense, qu'il s'agit purement et simplement d'une loterie, avec affectation des lots en stocks suivant la demande.

En complément des livres et du film de Jung, je vous invite, si vous ne l'avez pas vu, à visionner la fiction "Une vie toute neuve" d'Ounie Lecomte.


Merci aux parents, ainsi qu'à tous ceux qui s'intéressent à nous, les adoptés.

Merci à toi Jean Vital de nous soutenir comme tu le fais!

Eric, adopté d'origine coréenne, gagnant d'un tirage de 3 numéros affecté dans une famille ayant gagné un tirage dont je ne connais pas le rapport.